À la veille du Gitex Africa 2025
Demain s’ouvre la troisième édition du Gitex Africa. Marrakech s’apprête à accueillir, une fois encore, les esprits les plus agiles de la planète tech. Les allées seront remplies de données, de démonstrations, de discours. Et comme chaque année, la ville, magique et magnétique, servira d’écrin. Mais cette année, l’écrin peut devenir acteur. L’hospitalité peut devenir stratégie. Et l’horizon, industrie.
Car il faut le dire : lors des deux premières éditions, nous étions là, bien sûr, présents, curieux, parfois fiers. Mais nous nous sentions encore invités chez nous. Cette fois, le regard est différent. Ce territoire ne se contente plus d’accueillir : il veut peser, orienter, proposer.
C’est avec cette énergie que je prends la plume. Celle d’un nouveau vice-président général à la CGEM Marrakech-Safi, certes, mais surtout celle d’un enfant de cette terre en mutation. Une terre qui a longtemps fondé son économie sur trois piliers : l’agriculture, le tourisme, l’immobilier et le bâtiment. Trois solides piliers, mais aujourd’hui mis à l’épreuve. Le premier souffre du ciel, le second, autrefois tributaire des saisons, cherche désormais à rassurer les investisseurs, le troisième se heurte au foncier et aux déséquilibres urbains. Tous, à leur manière, appellent un quatrième souffle.
Ce souffle, je crois qu’il existe. Il est déjà là. En germe. En fougue. En fragments. Il s’appelle Industries Culturelles et Créatives — et en leur cœur bat déjà le numérique, non pas comme outil mais comme organe vital.
Les ICC ne remplacent rien. Elles renforcent l’agriculture par la mémoire des gestes, réenchantent le tourisme par l’expérience sensible, magnifient le patrimoine bâti en le transformant en contenu, en espace narratif, en décor vivant. Elles transforment l’artisanat en design, les traditions en formats exportables, les récits en richesse. Elles sont transversales, douées d’ubiquité, capables de relier les marges aux centres, le local au global, le tangible à l’intangible. Elles parlent économie… mais en poésie.
Mais bâtir une industrie exige des fondations. Et nos fondations historiques, bien que nobles, se fragilisent. L’agriculture n’a plus la régularité d’antan. Même les pluies de cette année — aussi bénies soient-elles — ne suffisent pas à rassurer. Peut-on encore fonder une économie sur ce qui tombe du ciel ? Le digital, lui, n’attend pas la pluie. Il demande des infrastructures, des talents, des visions. Il offre, en retour, la scalabilité, la diversification, la souveraineté.
Et pour illustrer la puissance de ce levier, il suffit de regarder un sous-secteur trop longtemps discret : la cybersécurité. Elle est à la fois brique technologique, colonne vertébrale, et garde-fou de notre économie numérique. Elle n’est plus un luxe ni un supplément. Elle est devenue centrale. Et la récente affaire de la CNSS — une faille qui a ébranlé non seulement une institution mais la confiance au Maroc — l’a démontré avec une clarté glaçante.
Heureusement, Marrakech n’a pas attendu. À l’ENSA, la première filière marocaine d’ingénierie en cybersécurité a vu le jour. À l’EBF, nous avons encouragé sa naissance, inspiré son élan, soutenu ses talents. Avec peu de moyens, mais tout notre cœur. En parallèle, l’association CRISIS a émergé. Avec elle, c’est tout un écosystème citoyen de la sécurité numérique qui prend forme. Est-ce que les Marrakchis le savent ? Probablement pas assez. Pourtant, ce sont ces jeunes, dans l’ombre des amphithéâtres, dans la lumière bleue des écrans de veille, qui demain défendront nos institutions, nos données, nos droits.
Et au-delà des filières formelles, il y a les clubs informatiques. Ces cercles d’initiés, discrets mais brillants, installés dans les écoles, les lycées, les facultés. De véritables académies de passionnés, souvent sans budget, sans reconnaissance, mais pleines de promesses. Que leur manque-t-il ? Un peu de confiance. Un peu d’écoute. Un geste. Un élan.
Et si, demain, nous faisions de ces clubs les pépinières citoyennes de la cybersécurité nationale — ou d’autres voies numériques et créatives, encore en friche mais pleines de promesses ?
Et puis, il y a cette jeunesse — 34 % de la population régionale. Une majorité invisible, mais éveillée. Connectée. Vivante. 90 % du territoire est rural. Et alors ? Ce n’est pas un obstacle, c’est un levier. Ces jeunes n’attendent pas la permission. Ils attendent des plateformes. Des espaces. Des guides. Des récits dans lesquels s’insérer. Ce qu’ils n’ont pas encore appris, ils peuvent l’absorber. Ce qu’ils n’ont pas encore imaginé, ils peuvent le créer. Ils ont le feu. Donnons-leur le foyer.
Et si Marrakech devenait aussi un foyer pour ceux qui viennent d’ailleurs ? Pas seulement pour quelques jours ou une saison. Mais pour un séjour prolongé. Une immersion. Une cohabitation féconde. Les digital nomads qui traversent notre ville ne cherchent pas que du soleil ou de l’architecture. Ils cherchent un lieu qui vibre. Une communauté. Une ambiance. Une Bahja.
Et la Bahja, chez nous, n’est pas une carte postale. C’est une onde. Une générosité. Un désordre lumineux qui fait danser les idées. Les nomades peuvent polliniser, inspirer, recruter, former, collaborer. Ils repartent souvent changés. Mais s’ils restent un peu plus longtemps, nous changeons aussi.
Alors oui, Marrakech peut devenir industrie. Mais pas une industrie froide. Une industrie chaleureuse, narrative, ouverte. Une industrie à visage humain. Une industrie faite de liens, d’imaginaires, de dignité. Une industrie où l’on code comme on compose, où l’on crée comme on cultive, où l’on connecte comme on accueille.
Ce n’est pas une utopie.
C’est une stratégie.
Et elle commence maintenant.